
On ne peut pas parler de ce livre.
On ne peut que l’efleurer, rester à sa surface.
Daniel Mendelsohn est né et vit aux USA avec sa famille. Mais il sait que l’histoire de sa famille est liée à celle des Juifs d’Europe, massacrés par la folie des Hommes.
Il sait que son Oncle Shmiel, sa femme et ses 4 enfants ont été tués en Pologne pendant la guerre en 1941.
Il sait aussi que cet oncle a supplié sa famille de les aider.
En vain.
Pour comprendre leur histoire et déterminer dans quelles circonstances exactes ces 6 membres de sa famille sont morts, il se lance dans un incroyable periple de plusieurs années et à travers plusieurs pays pour reconstituer le fil de leur histoire.
Ce livre est vertigineux et nous laisse vidés, lessivés.
A travers la cruauté de ces 6 destins, c’est aussi toute l’histoire des pays de l’Est, en particulier la Pologne et l’Ukraine, qui se dessine.
On découvre l’horreur des pogroms, des « aktions » et la cruauté des voisins, des connaissances, des collègues de travail qui se livraient à la plus extrême violence envers leurs voisins Juifs.
Une violence encouragée et absoue par les Nazis. En cela, le livre de Marie Moutier dont je parlais récemment fait totalement écho et complète parfaitement ce récit.
A travers cette enquête, Mendelsohn comprend que, quelle que soit la quantité d’informations accumulées, il ne pourra jamais cerner ce qu’a été la terreur de cette époque.
Il ne saura jamais ce que c’est de marcher à moitié nu dans la rue, sous le regard de ses dénonciateurs, des fusils pointés sur soi, réalisant que c’est sa dernière marche avant la mort.
Il ne saura jamais ce qu’est cette terreur face au déchaînement de violence contre les juifs par ceux qui, jusqu’ici, étaient leurs voisins ou leurs collègues.
Il ne saura jamais le froid, la terreur, la barbarie.
Ces destins qui s’effondrent pour un détail : comme un chien qui aboie et dévoile votre cachette.
Il ne saura jamais ce que ressentent ces parents qui ont tout tenté pour sauver leurs enfants.
Cette peur qui vrille les tripes, qui brouille la vue, qui annhile l’existence.
On ne saura jamais, mais on peut continuer à lire leurs destins, leur histoire.
C’est ce qui leur redonne vie, humanité.
Ce qui préserve leur mémoire.
Ce qui redonne voix et chair à ceux qu’on a voulu anéantir.
Lire leur histoire, lire l’Histoire, c’est les faire vivre encore un peu.
C’est ne jamais oublier que la barbarie et l’impensable ne sont pas de lointains faits historiques, mais sont toujours là, tapis derrière une frontière ou dans l’esprit d’un Homme avide de vengeance.
L’incroyable travail d’enquête de Mendelsohn lève le voile sur la complexité de la situation à l’époque. Il démontre à quel point reconstituer l’instant de la mort, du point de bascule des destins est éminemment compliqué et subjectif.
Finalement, plus que parler des morts, Mendelsohn parle de la vie.
Il redonne vie à ces 6 membres de sa famille à travers cette incroyable quête. Il leur redonne un visage humain là où on a voulu les deshumaniser.
Plus qu’un récit sur la mort, c’est un récit sur la mémoire, sur l’annihilation, sur la transmission.
Pendant ma lecture, j’ai parfois râlé contre les digressions, les phrases interminables et les passages bibliques qui me restaient obscurs.
Mais parvenu à la fin de ce récit, j’en comprends toute l’importance.
Ainsi, nous sommes comme immergés avec lui dans cette aventure. Nous faisons le chemin avec lui. Nous partons sur la trace de ses fantômes.
Des fantômes qui le guident. Le mette sur la voie. Sur leur voix.
Un ouvrage essentiel.
Ça a l’air éprouvant comme livre !
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Un livre passionnant ! Et tu as raison, l’auteur parle plus de la vie que des morts. Une lecture qui m’a marquée car l’enquête est dynamique, et effectivement, même les longueurs prennent sens à la fin.
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